Pesticide à base de produits locaux : une alternative à l’utilisation des produits chimiques pour lutter contre les insectes nuisibles des cultures du niébé dans la région du Nord
Face à cette contrainte d’attaques parasitaires récurrentes, quel moyen local de lutte efficace et durable pour les populations faut-il mettre en oeuvre en vue d’améliorer la lutte contre les insectes nuisibles des cultures du niébé ? Le recours aux savoirs locaux apparait comme une alternative.
Démarche
- (i) partage de l’esprit de l’approche ;
- (ii) autodiagnostic et planification des activités ;
- (iii) repérage et caractérisation des innovations ;
- (iv) mise au point des innovations ;
- (v) auto-évaluation/co validation ;
- (vi) socialisation et;
- (vii) capitalisation.
Madame Minata SORO, est une femme âgée d’une quarantaine d’années, mère de sept (7) enfants et agricultrice. Active dans la culture du niébé, l’innovatrice, non lettrée, appartient à la classe des pauvres selon les critères locaux de catégorisation sociale. Elle affirme détenir l’initiative de ses parents auprès desquels elle a acquis les savoirs et savoir-faire en matière de fabrication et d’utilisation de pesticide à base de produits locaux contre les insectes nuisibles des cultures du niébé depuis plusieurs années.
Il convient de préciser que dans le cadre de l’appui à la mise en valeur des bas-fonds et des périmètres maraîchers, le Projet soutient les Comités de Gestion (COGES) des sites aménagés à mettre en place un fonds de roulement à travers une dotation initiale (en première année uniquement) composée de semences certifiées de variétés améliorées, d’engrais minéraux (NPK et urée) et de pesticides chimiques (Deltacal). En plus du coût élevé du Deltacal (10 000 F CFA/litre) pour les petits producteurs pauvres, son utilisation non appropriée pourrait engendrer des effets néfastes sur la santé humaine, animale et sur l’environnement.
L’objectif global de l’expérimentation était de contribuer à la valorisation des savoirs locaux dans la lutte contre les insectes nuisibles des cultures du niébé. Cette valorisation étant une alternative pour pallier l’usage de pesticides chimiques peu accessibles et ayant des impacts à long terme sur l’homme et son environnement
Trajectoire de l’expérience
Cette expérience s’est déroulée au cours des campagnes agricoles de saison humide 2017 et 2018. A cet effet, un dispositif de co-expérimentation a été mis en place, sur deux parcelles de 200 m2 chacune avec des allées de passage de 2 m.
Sur ces parcelles, la semence certifiée de la variété améliorée de niébé Tiligré (KVX 775-33-2G) a été utilisée. Elle présente de grosses graines blanches, avec un cycle semi-maturité de soixante-dix (70) jours. Son rendement grain moyen est de 1500 kg/ha en station et de 850 kg/ha en milieu paysan. Les écartements ont été de 80 cm entre les lignes et 40 cm entre les poquets. Le nombre de plants par poquet est de deux (02).
La fumure minérale NPK (14-23-14-6S), a été appliquée à la dose normale de 100 kg/ha pour le niébé au premier sarclage, 15 jours après semis. Le pesticide a été utilisé trois fois avant la récolte du niébé uniquement sur la parcelle T1. A maturité, les produits des deux parcelles ont été récoltés séparément, séchés et pesés.
Ingrédients |
Unité de mesure |
Quantité |
Kg |
Mode action 1 |
Mode action 2 |
Dose du produit fini (dilution) |
Piment local rouge |
boite |
3 |
1,5 |
broyage |
Mélange, malaxageet filtrage |
2 bouchons du bidon de 20 l (≈100 ml) pour 16 l d’eau |
Ail ordinaire épluché |
bol |
2 |
0,5 |
broyage |
||
Farine de maïs blanc |
bol |
2 |
0,5 |
- |
||
Savon Aïcha ordinaire |
boule |
2 |
0,4 |
broyage |
||
Eau propre |
litre |
20 |
20 |
- |
- l’élaboration du protocole de mise en œuvre (choix du site, budget, comité de suivi, etc.) ;
- la mise en place du dispositif de co-expérimentation ;
- le suivi des activités de la co-expérimentation (visite terrain, mesure des indicateurs, visite commentée, etc.) ;
- l’application périodique du pesticide ;
- l’évaluation des résultats du dispositif ;
- la validation/capitalisation de l’expérience.
- la population de Kalo est porteuse de l’innovation. Elle a assuré le suivi des opérations culturales de la co-expérimentation ;
- la Chambre Régionale d’Agriculture du Nord a offert l’appui technique, le suivi-et l’évaluation de l’expérience ;
- les Services Techniques Déconcentrés en Charge du Développement rural du Nord (Agriculture, Environnement, Elevage) ont contribué dans l’appui-conseil et le suivi de la mise en œuvre de l’expérience ;
- la Direction Régionale de Recherches Environnementales et Agricoles du Nord-Ouest a contribué à travers un appui technique ainsi que le suivi-évaluation des opérations ;
- les autorités administratives et la collectivité de Thiou ont contribué dans la facilitation de la mobilisation des populations et dans le suivi ;
- l’Unité de Gestion du Projet Neer-Tamba a assuré un appui financier et technique et la coordination de la démarche ;
- le programme de formation AGRINOVIA a œuvré dans l’appui méthodologique et scientifique.
- maîtrise du mode opératoire de fabrication du pesticide ;
- maîtrise du mode de traitement sur les cultures de niébé.
- réduction du taux d’infestation par les thrips floricoles de la parcelle T1 de 1,8 % à 0 % ;
- et augmentation du taux d’infestation par les pucerons thrips floricoles de la parcelle T0 de 1,5 % à 3,8 %.
- taux d’infestation de la parcelle T1 de 0 % ;
- augmentation du taux d’infestation par les thrips floricoles de la parcelle T0 : à 15,5 %.
- taux d’infestation de la parcelle T1 : 0 % ;
- augmentation du taux d’infestation par les thrips floricoles de la parcelle T0 : à plus de 23 %.
- T0 : 15,6 kg de niébé grain, soit un rendement de 780 kg/Ha ;
- T1 : 28,4 kg de niébé grain, soit un rendement de 1420 kg/Ha, équivalent à 99,44 % de T0.
La difficulté majeure rencontrée a eu trait aux poches de sécheresse enregistrées au cours de la campagne agricole humide 2017 qui n’ont pas permis de conduire l’expérience à terme. En effet, suite aux stress hydriques répétés auxquels les plants de niébé ont été soumis, l’application du pesticide ne s’est pas faite selon le chronogramme établi et à terme, aucune récolte de graines de niébé n’a été effectuée sur les deux parcelles d’observation du dispositif de co-expérimentation.
Enseignements tirés de l’expérience
Originalité de l’expérience
Les marchés locaux sont envahis par une diversité de pesticides non homologués dont l’usage engendre des effets négatifs sur la santé humaine, animale et sur l’environnement. L’accès aux pesticides homologués par les producteurs dans la région du Nord est difficile en termes de disponibilité et de coût. En outre, leur gestion sécurisée n’est pas maitrisée par les producteurs. Dans ce contexte, le recours aux savoirs locaux en technique de lutte contre les insectes nuisibles des cultures du niébé à base de produits locaux constitue une alternative.
Dans le village de Kalo, il existe des initiatives de lutte contre les parasites du niébé, mais elles sont peu appréciées par les populations. C’est dans ce sens que l’initiative portée par Minata SORO, après deux ans de mise à l’épreuve et au regard des résultats atteints (rendement et réduction du taux d’infestation des parasites), a une plus-value qu’il convient de la promouvoir, voire la mettre à l’échelle.
Facteurs clés de succès et de durabilité
La culture du niébé en pure ou/et associée aux céréales est une pratique courante dans la localité. Elle reste confrontée à des attaques parasitaires récurrentes de sorte que l’usage de pesticides est une nécessité pour des rendements satisfaisants. Le succès de l’expérience est lié aux facteurs ci-après :
- l’utilisation des produits locaux comme matière première entrant dans la fabrication du pesticide ;
- la faible toxicité du produit vis-à-vis de l’Homme, de l’animal et de l’environnement ;
- le coût de fabrication relativement faible (5 225 F CFA/ha) ;
- la facilité de conservation du produit (au moins un an) ;
- l’efficacité avérée du produit suite aux différentes applications lors de l’expérimentation ;
- les résultats atteints (meilleur rendement et réduction du taux d’infestation des parasites).
Impact
Il a été observé une baisse de l’utilisation de produits chimiques de synthèse au profit des pesticides à base de produits locaux. Le suivi régulier du dispositif expérimental par un comité local et l’organisation d’une visite commentée ont permis de partager les résultats obtenus et de favoriser l’adoption du pesticide.
Reproductibilité et mise à l’échelle
Dans d’autres contextes, la disponibilité des matières premières, le coût relativement bas et la facilité de fabrication et de conservation du pesticide constituent entre autres des facteurs et des conditions favorables à sa reproductibilité.
Du fait des avantages liés au pesticide et des facteurs de succès cités plus haut, la diffusion du produit à grande échelle est possible à condition de :
- former les producteurs à la fabrication et à l’utilisation du pesticide ;
- développer la production semi-industrielle du pesticide et son conditionnement commercial.
Perspectives, évolutions et défis
L’expérience a été conduite en production pure du niébé. Il conviendrait de tester l’efficacité du pesticide sur des associations de cultures céréales-niébé et sur les cultures maraîchères. Il serait également judicieux d’envisager des recherches pour identifier le principe actif du produit et déterminer la contribution et la spécificité de chaque ingrédient utilisé, notamment : le savon Aïcha, le piment et la farine de maïs blanc en vue de l’élaboration d’une fiche technique.